Après l’emballement du confinement, l’incertitude
La nutrition animale a tenu durant la crise de la Covid-19. Elle a su répondre durant les trois premières semaines du confinement à la hausse de la demande des éleveurs qui cherchaient à sécuriser leurs stocks sur leurs exploitations. Mais elle a repris la tendance globale à la baisse en mai et fait un peu de yoyo depuis. Par Yanne Boloh
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Les évolutions des tonnages d’aliments pour animaux du premier semestre 2020 se lisent à l’aune de la crise Covid. Dans les premières semaines du confinement, les éleveurs ont augmenté leurs achats, avant une réelle déprise puis un retour aux tendances précédentes. Sur le seul mois de mars, les statistiques montrent ainsi une hausse de 4,1 % au global, avec des pointes à + 8,4 % pour les vaches laitières, + 5,6 % en porcs et + 8,3 % en pondeuses, par exemple. Même la dinde a repris des couleurs (+ 6,6 %), alors que les plus petites espèces comme les palmipèdes (− 6,7 %) et les cailles (− 4,4 %) ont souffert du recentrage des consommateurs sur les aliments de base et de la fermeture des restaurants. Les usines d’aliments sont parvenues à se fournir en volumes suffisants, tant en matières premières qu’en additifs, même si les tensions internationales ont fait grimper les cours de certains ingrédients et que les logisticiens ont passé des nuits blanches pour sécuriser les flux de camions.
Durant la crise, l’année se dessinait à −4%. Les prévisions sont désormais un peu moins pessimistes, à −2 à −3% pour 2020. La production dépend de la reprise de la consommation, tant en GMS qu’en hors foyer, ce qui ne semblait pas gagné en début d’été ! Les entreprises notent par ailleurs de très fortes variations d’une semaine à l’autre, surtout en bovin, ce qui complique la lecture du marché.
Le mois de mai affiche − 8,5 % toutes espèces confondues. Il montre que les éleveurs de bovins resserrent leurs achats puisque même le mash s’effondre par rapport à la même période l’an passé (− 16 %). Les conditions climatiques et l’état des trésoreries n’arrangent rien.
Moins d’usines en Bretagne
La plus grosse région des fabrications françaises reste la Bretagne. Au fur et à mesure des années, les entreprises et les usines sont moins nombreuses, passant en vingt ans d’une soixantaine d’usines à 40 aujourd’hui et de 40 à 13 structures. La dernière restructuration date de début janvier avec la création d’Eureden, qui regroupe Triskalia et la Cecab.
« Après une année 2019 en baisse de 1,1 %, l’industrie de la nutrition animale bretonne, regroupée au sein de l’association Nutrinoë, enregistre la même tendance sur le premier semestre 2020 (− 1,4 %) », détaille son président, Hervé Vasseur (photo en médaillon). Il faut ajouter les ventes de matières premières en l’état favorisées lors des phases de soja pas cher. Cela explique qu’elles soient passées de 115 000 t en 2018 à 122 000 t en 2019 dans les quatre départements bretons.
Les adhérents de Nutrinoë ont connu quelques semaines de surchauffe au début du confinement (+ 5,3 % en mars). Les tendances ont ensuite repris leur cours, à l’équilibre en avril puis en baisse de 4 % en mai, par exemple. Sur les six premiers mois de l’année en Bretagne, l’aliment volaille affiche − 1,4 %, avec la poursuite de la baisse en poulet de chair (− 5 %), compensée en partie par la reprise en dinde qui a longtemps souffert de la montée du poulet lourd (+ 5 %) alors que les aliments pour pondeuses se replient de 1,5 %.
L’Union Européenne en repli de 3 à 6 %
Au niveau européen, les prévisions sont également pessimistes, rompant la progression continue de la dernière décade. L’alimentation pour les volailles a très vite réagi à la crise Covid en chutant jusqu’à − 10 % dans certains États membres. Les experts de la Fefac estiment que l’année pourrait se terminer à − 5,2 %. Les aliments pour porcs seraient en moins mauvaise posture (− 2,3 %), mais avec de fortes disparités entre pays selon leur statut sanitaire vis-à-vis de la fièvre porcine africaine. Le segment ruminant a été quant à lui très fortement impacté par la fermeture des restaurants durant le confinement. Ce dernier a induit de fortes baisses de consommation de viandes et de fromages. Au total, l’UE devrait donc perdre entre 3 et 6 % de tonnages d’aliments composés cette année.
Même sans rupture d’approvisionnement, les entreprises, en France comme ailleurs, se sont heurtées à des difficultés logistiques. Cela se traduit par la hausse des sojas de 330 à 390 €/t durant quelques semaines et des renchérissements d’une vingtaine d’euros assez courants sur les céréales. Les indices Ipampa et Ifip confirment la hausse. Le fait d’être passé en nouvelle campagne a permis d’alléger ces tensions-là début juillet, même si les prix sans majoration restent plus élevés.
Des approvisionnements sur le fil
Tous craignaient des blocages au départ des ports sud-américains et des difficultés de déchargement, mais finalement tout est passé. Idem pour les minéraux et les additifs, surtout ceux en provenance de Chine, voire d’Inde. Là encore, c’est passé, mais toute la chaîne a pris conscience de sa fragilité liée à sa dépendance massive. Ce qui est vrai au niveau national l’est aussi au niveau local. La Bretagne cherche ainsi à améliorer son approvisionnement en céréales. D’où la relance du projet de plateforme ferroviaire à Lorient (pour profiter des installations de stockage existant sans investissement) ou à Vitré (mais il faudrait y investir), sur le modèle de la plateforme ferroviaire de Montauban-de-Bretagne.
Une fin d’année sûrement compliquée
« Toute la chaîne alimentaire s’est clairement emballée en début de confinement, mais depuis sa levée, la RHF ne repart pas et la consommation à domicile se tasse. Nous craignons donc un second semestre en repli, repli que nous observons déjà dans les productions à cycle court comme les volailles. La production française a été soutenue au printemps par le frein mis sur les importations, mais nous craignons tous une reprise de l’import portée par la recherche de prix de certains opérateurs. Nous espérons que la volonté des consommateurs de manger des produits français se maintiendra à l’automne, mais vont-ils transformer l’essai ? », se demande Hervé Vasseur.
La production d’aliments est également liée à l’évolution de son aval, dont sa capacité à travailler. FranceAgriMer constate ainsi, dans sa note de conjoncture de fin juillet, que les abattages de porcs ont repris en juin après un mois de mai difficile, ce qui pondère heureusement la baisse du 1er semestre à 0,6 % en volume. « À la différence de ses homologues allemands, l’industrie française de l’abattage-découpe semble à ce stade avoir réussi à maîtriser les cas de Covid-19 touchant son personnel (retour à la normale chez Kermené et Holvia porcs) », indiquent ses experts.
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